samedi 18 octobre 2008

Place BRUSSAC (4)

Les visiteurs de la librairie sont, comme je l’ai déjà dit, des amis venus tailler une bavette avec M. Brussac, des écrivains venus s’entretenir avec un intermédiaire (ces derniers sont souvent également des amis, si bien que la conversation y saute du coq à l’âne), des connaissances venus rendre compte de leurs dernières expériences rendues possible par l’entremise du « capitaine » ou au contraire à la recherche d’une nouvelle profession que son réseau pourra éventuellement combler de leurs vœux …

Mais aussi des clients. Parmi eux des habitants du quartier, des gens de passage et quelques notables bordelais avisés, qui aux autres librairies de qualité de la ville donnent leur préférence à la meilleure malgré les quelques lazzis dont M. Brussac paie leur fidélité en retour.

Ces moqueries portent invariablement, comme s’ils s’étaient donné le mot, sur la soi disant négligence des commandes du libraire qui se perdraient souvent en route.
Fait que je n’ai jamais pu observer, toutes mes commandes arrivant à temps et à heure dite, plus précise qu’un métronome, généralement le vendredi jour de la venue du comptable une fois par mois.
Celui-ci est systématiquement comblé d’éloges par M. Brussac qui en rajoute et improvise tel un virtuose sur le thème de « ces satanés chiffres qui ne veulent rien dire ! ».
Toutefois il semble avéré qu’il refuse de vous vendre un livre s’il a jeté son dévolu dessus. Vous devrez alors patiemment attendre qu’il l’ait lu avant qu’il ne vous le prête.

M. Brussac subi stoïquement les railleries de certains de ses clients mais tel le chêne de la chanson on sent bien qu’il en souffre.
Jusqu’à très récemment je ne m’expliquais pas ce petit jeu.
Mais je me suis avisé que tel le capitaine d’un navire écouté et obéi, ses subordonnés ne manquaient jamais de faire payer cette autorité légitime à leur supérieur par quelques traits d’esprits qui ne volent jamais bien haut comparés aux nues où l’albatros s’ébat joyeusement.
Ainsi en va-t-il de M. Brussac, capitaine bien plus que d’une librairie.

Celle-ci se pare des atours d’un centre culturel plusieurs fois par mois en accueillant la fine fleur de la littérature contemporaine.
Elle sert d’entremetteur pour des revues confidentielles et un lectorat potentiel.
Salle de cinéma d’art et d’essais, des spectateurs y trouvent en avant première et en exclusivité des films improbables mais de qualité exceptionnelle.
Et bouquet final, tous les ans un marché de la poésie y est organisé au printemps avec la remise exceptionnelle d’un prix de littérature dont le lauréat bénéficiera de l’édition de son recueil.

Le week end de cette manifestation, la halle du marché se transforme en petite ruche où le monde de l’édition, de la librairie et de l’écriture, bref toute la chaîne de production du livre, rencontre son public.

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