vendredi 1 avril 2011

RENTABILITE FATIGUE.006

LA FATIGUE ET LA TRANSGRESSION
Toujours en la compagnie de Georges BATAILLE, ce chapitre s'intéresse aux process d'accumulation et de désaccumulation. Déclinant les notions de dépense, de potlach, de dilapidation, de cruauté ... Pascal ENARD en vient à s'intéresser même aux notions de profanation et de mal. Illustrant, ce faisant, concrètement par où fuit le lien social :

« La défense collective qui sacrifie tôt ou tard le faible – par où la cohésion s'enfuit – en fait
l'infigurable. » (page 54)

Mais laissons Pascal ENARD développer lui même sa réflexion. D'une part je ne me sens pas capable de la restituer intègrement, d'autre part je ne souhaite pas le paraphraser. Je préfère en effet vous restituer quelques réflexions éparses illustrant son propos.

Tout d'abord j'aimerais vous faire toucher du doigt combien Pascal ENARD est un « artisan » de la littérature, un forgeron du mot. Il contraint la phrase par une syntaxe inhabituelle qui force le lecteur à se plonger dans sa pensée ; il décompose les mots pour en démultiplier leur sens ; enfin il conceptualise des mots qui prennent un sens précis alors que la vulgate en donnait une définition valise. Pascal ENARD force donc le verbe pour lui faire dire exactement ce qu'il souhaite, comme un forgeron contraindrait le métal chauffé à rouge pour lui imposer la forme qu'il souhaite. Je trouve à cet égard la phrase qui suit représentative de l'ensemble de mon propos :

« Bataille est encore un matérialiste différentialiste et non proportionaliste et « dia » lectique,
sensible comme il est à la force spontanée, il prive son lecteur d'un savoir de la force étagée, qui passe par les cas de figure d'un emploi efficace et situé. » (page 38)

Et pourtant quelle légèreté dans le rendu final de ses phrases, se permettant des envolées poétiques
au milieu de considérations bien concrètes et révoltées :

« La collectivité vivante, l'intérêt social ne seront la transcendance sacrée de l'activité particulière
qu'atteignant la nécessaire gratuité des atomes et des étoiles. » (page 41)

Concrète disais-je, et même si ce constat ne suffit pas à Pascal ENARD, tant il est animé par une
volonté de changement social, voyez comment il dénonce la gabegie de certains pouvoirs locaux faisant le jeu des grandes entreprises du BTP :

« Outre le prestige spectaculaire qu'il en tire à court terme, l'élu local préfère immobiliser les
ressources populaires dont il a la charge dans des biens fonciers plutôt qu'en des services sociaux ou des communications esthétiques et civiques. » (page 37)

Enfin, cette phrase lapidaire sur le conflit israëlo-palestinien :

« Entre la culpabilité d'emprunter, d'ouvrir le circuit de l'échange et la placidité d'occuper le territoire du palestinien sans remords, Bataille a-t-il véritablement tracé la contradiction. » (page 43)

Et je me permets de rebondir sur un argument bien connu de l'Etat israélien et de ses « supporters à
tout crin » : n'est il pas vrai que les « arabes » (notez ! Pas les palestiniens) n'avaient rien su faire de cette terre et que depuis qu'Israël existe, cette terre est transformée en une oasis verdoyante et prospère ? Argument historiquement faux, qui même s'il était vrai ne justifierait la spoliation d'une terre. D'ailleurs dans cette région, ne connaît on pas l'histoire édifiante des nabatéens, qui après avoir construient une civilisation urbaine, agricole et prospère ont décidé du jour au lendemain de redevenir nomade en laissant en friche leurs grands travaux? Alors en accumulant « culpabilité d'emprunter » une terre et « placidité d'occuper un territoire », l'état d'Israël dans sa politique actuelle est bien mal engagé.

Mais Pascal ENARD n'est pas que critique, n'est pas désespéré et il laisse entrevoir les moyens du « dé – chaînement » du prolétaire (page 48), de « l'être en communisme » (page 48). Et avant ses chapitres aux titres les plus déprimants ( « Misère cynique de l'aide angélique à la misère » ou « Un découragement général » ; page 52) nous laisse entrevoir les moyens de réalisation de ce qu'il appelle un « conseil polyhumaniste » (page 52).