jeudi 17 mars 2011

RENTABILITE FATIGUE.003

En guise de préface à « Rentabilité fatigue » une photographie de Pascal ENARD en plein travail forestier d'entretien d'un bois avec comme exergue ce bon mot : « Rite alchimique aux « Fosses Miscottes » non loin des « Gargoyes » » en référence à l'un des premiers ouvrages de Pascal ENARD (cf. « Les Fosses Miscottes ») : comme en un déguisement carnavalesque et burlesque d'un labeur somme toute commun. C'est peut être que « Au moment [que le figurant] se figure son lien à tel autre, cette figuration même se cristallise, de cette paradoxale façon que le réel pulsionnel, l'affect, de son empathie se dépathise et nous le dépayse. » (cf. Pascal ENARD, 11 03 07 19). C'est aussi une pointe d'humour créatrice et salvatrice qui, en détournant l'objet ou le sujet de sa fonction première (à la manière de Duchamps), déstabilise le spectateur-voyeur, lui en donne pour son argent et plus, si bien que dès la première page ce décalage met le lecteur en porte à faux, en situation fragile et sensible face au propos qui l'attend.

En guise d'introduction, quatre parties pénétrantes sur les spécificités de la société capitaliste contemporaine et les éléments humains, sociaux et politiques qui la constituent. Au coeur des contradictions internes du capitalisme contemporain se trouve la question de la création (artistique, technicienne ...) et de son plagiat : « [...] un nouveau cannibalisme de classe. » (Rentabilité Fatigue, page 7).
Entendons nous bien, du temps de Marx la force de travail prolétarienne était spoliée de sa plus value par la sous évaluation de sa rétribution (« [...] surtravail classique[...] » ; cf. Rentabilité Fatigue, page 7). De nos jours la création de richesse par la force de travail est non seulement spoliée mais de plus l'inventivité « ouvrière » déployée par le travailleur est « plagiée » : c'est à dire que le travailleur en vient à devenir dépossédé même de ses process de production (le tour de main, le savoir faire spécifique ...) lui interdisant désormais toute source de revenu par son travail car dépossédé de sa fonction.
Pour l'illustrer par un exemple concret replongez vous dans la lecture de « L'Etabli » de Robert LINHART : je crois me souvenir que dans l'atelier de l'usine, un des collègues de travail de Linhart développe son propre outil de production pour lui permettre de travailler plus efficacement. Or cette inventivité est très rapidement mise à bas par les ingénieurs de l'usine qui, donnant suite aux consignes de rationalisation par la direction, harmonisent tous les outils de travail de l'atelier et mettent au placard l'invention de l'ouvrier ; car elle ne rentre pas dans les nouvelles normes de production. La création est ainsi déniée, plagiée et spoliée au nom de l'efficacité supérieure de l'organisation qui est pourtant sous optimale.
Mais ne demeurons pas cloisonné dans les représentations « ouvriéristes » du « prolétariat » : ce n'est pas seulement à l'usine que la lutte des classes fleuri! L'originalité de Pascal ENARD réside entre autre dans le dépassement des catégories bien établies (catégories socio professionnelles ...) et dans le dépassement d'une vision moniste de l'individu, pour s'intéresser à ses contradictions internes : le « figurant ». Ainsi Pascal ENARD accorde une large place au créateur artistique, à l'intellectuel, au chercheur, dans sa lecture sociale contemporaine.
Dans cette lecture renouvelée du capitalisme Pascal ENARD ne manque pas d'égratigner au passage ce qu'il nomme le « social maximalisme » en plus des figures traditionnelles de la « social médiocratie », du « petit bourgeois » ... En effet n'oublions pas que tous nous figurons et participons de la société et à ce titre y collaborons et aidons à sa « reproduction ». Toutefois il ne s'agit jamais de dénoncer un individu ou groupe d'individu particulier mais, avant tout, les « figures », les masques que nous empruntons tour à tour dans notre relation au monde.