mardi 13 août 2013

La Folle Journée ou La Controverse de l'Historien, du Journaliste et du Citoyen (tragédie burlesque en un acte et un épilogue) 1.6


SCèNE 6

 

Courroucée par la réponse à la Pilate de Pons, Athéna répond favorablement à l’invocation de David et entre en scène
 
Athéna – Merci, cher Monsieur, de m’avoir invoqué pour trancher le débat avec le sieur Pécuchet, qui prétend redonner (la tentative est aussi ancienne que le régime de Vichy même) caution scientifique à la thèse d’un Vichy sauveteur des « juifs français », au prix du sacrifice, certes pénible et désagréable, des « juifs étrangers » ‑ thèse qu’avançait et dont se flattait publiquement Laval lui-même. En privé, le même Laval vouait tous les juifs aux mêmes gémonies, et je renvoie sur ce point M. Pécuchet aux fonds d’instruction de la Haute Cour de Justice de Laval (W3, 208-216, Archives nationales), qui l’éclaireront sur le sort que l’intéressé, aidé de son ami René Bousquet, puis du chef cagoulard Darnand, promettait aux juifs « en général ».
Le médiateur du quotidien régional, Pons, vous répondant également, pour invoquer le respect des « règles en vigueur dans la profession et dans ce quotidien régional » par « l’acte journalistique » qu’a constitué l’interview de Pécuchet, je crois devoir intervenir dans le débat.
M. Pécuchet est confronté à une critique précise, à laquelle il semble vouloir répondre par écrit, initiative rare et louable, je le concède, de la part d’un universitaire médiatique. Mais il esquive l’objet de ladite critique – son indulgence pour le comportement du régime de Vichy à l'égard des juifs de France ‑ en se flattant, de façon plus générale, d’être « un spécialiste du génociede (sic) et de la shoha (sic) », observation supposée de nature à tuer l’objection dans l’œuf. Il en est en effet spécialiste autoproclamé depuis plusieurs années, et désormais se réclame de l’autorité de Simone, dont les compétences historiques ne me paraissent pas établies et dont, au surplus, l’indulgence peut être suspectée : son défunt mari n’a pas vu d’inconvénient à voisiner avec Bousquet, au passé notoire dans les milieux financiers, juifs pas moins que non-juifs, au conseil d'administration de la Banque d'Indochine, et on peut penser que la communauté sociale et la priorité des dividendes ont pesé en l'occurrence davantage que les bienfaits présumés de Vichy pour sa femme, sa belle-sœur et sa belle-mère avant leur voyage pour  Auschwitz (et je ne parle pas du reste de sa famille). Simone, grande « Européenne », a par ailleurs ces dernières années donné caution, au cours de voyages dans les Pays Baltes, à des milieux politiques également très pro-européens, en faisant silence sur l’histoire avérée de leurs prédécesseurs d’entre-deux-guerres et d’Occupation allemande et en particulier sur la contribution active de ces derniers à la « destruction des juifs d’Europe » étudiée par Raul Hilberg.
M. Pécuchet préfère également à ce  type d’enquête historique exigeante l’enquête « “au ras des pâquerettes” [effectuée] en [s]’appuyant sur des dizaines de témoignages » et la glose sur « les causes […] complexes » (si peu, à la lecture assidue des sources). Ce type d’enquête ne saurait soustraire aucun historien stricto sensu  travaillant sur les juifs de France à l’impératif catégorique d’un examen des archives d’État, françaises, allemandes et autres. M. Pécuchet ne les a jamais consultées, mais il manie volontiers le concept de « génocide » non scientifiquement défini, comme l’ont fait des « Ukrainiens » allégués ‑ toujours originaires de l’Ukraine anciennement polonaise, jamais de l’Ukraine soviétique, de l’entre-deux-guerres ‑ lorsqu’ils ont, notamment contre une communication de sources diplomatiques de 1932-1935 assurée par moi-même à des étudiants de concours, organisé grand tapage politico-idéologique, à Washington et à Paris notamment, sur la « famine génocidaire stalinienne » de l’Ukraine soviétique. Ce tapage a heureusement pris fin, en France tout au moins, lorsque les « Ukrainiens » se sont révélés, en mai 2006, pour ce qu’ils étaient : des héritiers des génocidaires petliouristes, célébrant l’exécution par un « juif étranger » de France, Sholem Schwartzbarden mai 1926, de leur héros Petlioura massacreur de juifs ukrainiens au cours de la guerre civile et étrangère faisant rage sur le territoire de l’ancien empire russe (geste à l'origine de la Ligue contre les pogroms, devenue Ligue contre l'antisémitisme ‑ LICA ‑ puis LICRA. Le tapage sur les « génocides » revendiqués, réels ou non, n’a pas disparu, s’appuyant sur des comparaisons aussi fantaisistes que « la destruction des juifs d’Europe », entre 1939 et 1945, et les guerres yougoslaves ‑ à forte origine ou inspiration internationale ‑ des années 1990.
C’est de cet amalgame de « génocides » et de « violences », de toutes origines, toutes arbitrairement mises dans le même sac, en contradiction avec toute analyse historique à fondement socio-économique, que M. Pécuchet est le spécialiste. C’est sur ces bases publicitaires relatives aux « génocides » et « violences » qu’il a acquis son indéniable notoriété médiatique, laquelle lui vaut ces jours-ci, à l'occasion de la sortie d’un nouvel ouvrage, les colonnes du journal régional – solide habitude de la grande presse, parisienne ou non. Une telle reconnaissance est aisément acquise en France à des universitaires qui ont d’emblée ou tardivement, et définitivement, renoncé à l’humble travail de l’historien impliquant longue consultation des très abondantes sources écrites, contemporaines des faits et non destinées à la publication. On ne voit pas en quoi « des dizaines de témoignages […] “au ras des pâquerettes” » pourraient nous éclairer mieux ou aussi bien sur le sort des juifs de France, français et étrangers, que les sources écrites susmentionnées.
Le triomphe de telles méthodes, non scientifiques car non confrontées aux sources originales, est très dommageable à la réputation internationale de notre historiographie – réalité qui inspire honte et malaise à ceux qui comparent les travaux français des quinze dernières années sur la Deuxième Guerre mondiale aux richesses de la bibliographie non-francophone, comparaison à laquelle je viens de procéder dans mon ouvrage, dans lequel l’aryanisation des « biens juifs » (et son cortège de pratiques non exclusivement économiques) occupe une part notable. Je ne doute pas qu’un responsable culturel de votre journal y prête la même attention, par un « acte journalistique » approprié, qu’à une enquête orale « au ras des pâquerettes », lancée environ 70 ans après les faits et se félicitant, quelle chance, que « 75% des Juifs (sic) de France [aie]nt échappé à la mort ». Je profite de l’occasion pour faire remarquer qu’il n'y a pas de nationalité juive, et donc que, en français, le substantif juif ne commande pas plus la majuscule que l’adjectif juif. Bien cordialement.