mercredi 9 novembre 2011

Hommage à L'Art Français de la Guerre d'Alexis JENNI

Il aura fallu une histoire singulière à Victorien Salagnon pour accomplir son Odyssée.

Il aura fallu plus qu’Orphée pour sortir Eurydice du royaume des morts.

Il aura fallu au narrateur de s’étranger pour exorciser toute mythologie de cette histoire.

Il m’aura fallu écrire ces mots pour m’extraire de L’art français de la guerre, un ouvrage qui m’habite depuis que j’ai commencé à le lire et qui me hante depuis que j’ai fini de le lire. Cette histoire fait désormais partie de mes souvenirs concrets et comme telle m’invite à la réflexion, au « retour sur » ...

Ce faisant Alexis JENNI redonne un souffle vivant aux mythes fondateurs de la littérature classique : certains les ont reniés, comme Marriani ; d’autres s’y sont perdus, comme l’oncle de Victorien ; deux êtres en se découvrant se sont appropriés ces mythes pour fuir leur destinée et se réapproprier leur destin. Pour ce faire Alexis JENNI a dut subvertir les figures des mythes :

- une Eurydice – Béatrice aux yeux de Victorien

- un Victorien – Virgile aux yeux du narrateur


Soit un Dante de trop pour cette histoire ; un Job qui se saborderait lui-même ; un Gargantua « obscure » … soit plusieurs figures successives du narrateur.

Narrateur qui une fois purifié par la déprise de toute richesse matérielle ; puis finalement par l’amour d’une femme sans âge, dont seule l’aura blanche de sa chevelure apparaît comme un signe déterminant de son identité (alors qu’aux yeux de la société elle est berbère !? arabe !? maghrébine !? musulmane !? … bref tout, sauf ce qu’elle est intrinsèquement et dont la cécité nous prend lorsque nous y sommes confrontés, comme un prurit du colonialisme) ; Narrateur qui pourra alors dire la vérité vraie pour rendre la justice juste … qui fera œuvre : de sauveur pour Eurydice accomplissant ce qu’Orphée même n’avait pu réaliser jusqu’à son terme ; de Virgile pour un Victorien – Dante ; d’ange pour un couple Eurydice – Victorien plus que jamais Dante amoureux de Béatrice.

Je note comme un clin d’œil, moi le juif, l’identité judéo - grecque d’Eurydice et de Salomon Kaloyannis (juifs et métèques ? comme le chantait Moustaki). Si au début de l’histoire ces figures sont l’illustration du « sel de la terre » comme solution face à l’altérité, leur extraction violente par l’Histoire les rendra étrangers à la vie : ils n’y comprendront plus rien, par peur, et se réfugieront dans l’expression la plus grossière de l’erreur, qu’ils savent être l’ennemie de la vérité qu’ils cherchent pourtant, mais qui est la seule qui semble leur ouvrir les bras pour les rassurer. A la fin :

- Salomon changera radicalement son fusil d’épaule pour se donner à d’autres « sacrificateurs », tombant de Charybdes en Scylla … se donnant ce faisant la mort ;

- Eurydice recevra la vérité d’un être « sans religion », un narrateur qui a construit son ubiquité omnisciente en s’extrayant dialectiquement de sa condition initiale ;

- Victorien, l’homme fourvoyé, recevra sa libération, après un long voyage, par le narrateur, deux êtres devenus étranger à ce qu’ils furent ;

etc …

Le narrateur comme Messie qui se construit lui-même en quelque sorte.