samedi 20 août 2011

RENTABILITE FATIGUE.015

« La mauvaise passe et l’interprétation sommaire »

Et nous voilà au dernier chapitre de Rentabilité Fatigue, comme en une invitation à découvrir l’ensemble de l’œuvre passée et à venir de Pascal ENARD.

Marxiste (oui, il ne s’en cache pas), Pascal ENARD est un curieux marxiste quand on se réfère aux caricatures qui ne cessent de trahir Karl MARX. Et pourtant marxiste curieux, Pascal ENARD donne tout son sens à la « dictature du prolétariat » pour peu que l’on comprenne bien la vocation internationaliste de ce terme qui a tant fait coulé d’encre. De sa vocation polyhumaniste devrais je dire.

Loin de faire « table rase du passé » le programme action de Pascal ENARD consiste à s’appuyer sur les leviers économiques et sociaux existants pour, à travers une stratégie subversive, servir « au profit de tous les vivants » (page 154).

En passant de la critique de la gratuité des logiciels libres (page 141) jusqu’à l’utilité de la spéculation (page 154), la réflexion de Pascal ENARD nage à contre courant de la doxa de gauche qui a tôt fait de condamner le soit disant « ennemi du peuple ». Au contraire « le polyhumanisme, concevant la complémentarité des civilisations en conflit ne veut « passer à l’acte » sans étudier la situation concrète des figures en tension et les résultantes complexes de leurs forces et rapports » (page 151).

Or nous avons besoin d’humains qui gardent « la patience assidue d’aller au bout des raisons complexes des faits » (page 133). Et d’enfoncer le clou en citant Denis THOUARD : « […] il n’y a pas de censure plus forte que celle qui est aussi la plus commune et qui confère à l’incompétence le droit de s’exprimer avec la même autorité que le savoir. » (pages 134 - 135).

mardi 9 août 2011

RENTABILITE FATIGUE.014

« FAUSSE LIBERTE ET SOLIDARITE FAUSSEE »

Deux influences majeures transpirent dans ce court chapitre : Marx (même si Pascal ENARD se porte en faux contre les interprétations sommaires de la doxa marxiste) et La Boëtie.

C’est à cette dernière influence que je voudrais ici m’intéresser sur le thème « De la servitude volontaire » : « Ce ne sont plus les gens qui veulent mais l’addiction par la domination pulsionnelle de la situation qui choisit pour eux » (page 127).

Cette servitude face « au grand autre » (page 127) mais aussi dans certaines volonté d’émancipation qui ne pourront que capoter, engoncer qu’elles sont dans « une jalousie petite bourgeoise » (page 125). Et Pascal ENARD d’évoquer l’intranquillité, au sens où l’entendait Fernando PESOA, du sujet face à ce grand autre :

« En ces jours de l’âme comme celui que je vis aujourd’hui, je sens, avec toute la conscience de mon corps, combien je suis l’enfant douloureux malmené par la vie. On m’a mis dans un coin, d’où j’entends les autres jouer. Je sens dans mes mains le jouet cassé qu’on m’a donné, ironiquement un jouet de fer-blanc. Aujourd’hui 14 mars, à neuf heures dix du soir, voilà toute la saveur, voilà toute la valeur de ma vie. » (Le Livre de l'Intranquillité, Fernando PESOA)

Car c’est bien de valeur dont il est question ! Economique, sociale, familiale et in fine psychique qui se boucle à nouveau dans le somatique …

Nous souffrons de ne figurer à la vie, c'est-à-dire de n’être que figurant sur la scène de la vie : plus personne ne compte si ce n’est le dominant, et encore … pris dans un jeu de pouvoir il ne doit le maintien à sa place que par une défense active et outrageuse dans le but de ne pas se faire évincer : pauvre domination en réalité que celle-ci, commandée par des conditions extérieures au dominant.

En fait c’est au centralisme, sous toutes ses formes (même déconcentré), que cette situation doit de se perpétuer. Et avec le centralisme, la croissance incontrôlée des formes de domination institutionnelle qui se traduisent par le totalitarisme de l’administration d’Etat, des Multinationales … Cette dictature administrative et son incompétence, sa propension à l’inefficacité sociale, a été décelée dès le 19ième siècle par des auteurs viennois, se transmet avec Kafka et s’analyse socialement par des économistes tels Galbraith à partir de la deuxième moitié du 20ième siècle.

La tendance du capitalisme à générer, non seulement l’automatisation des tâches productives et administratives, mais aussi à gérer les relations humaines interindividuelles par l’accumulation d’algorithmes automatiques de résolution des problèmes et du quotidien a pour conséquence une organisation sociale mortifère où la réalisation de l’individu et du vivant n’est plus possible.

Face à ces formes d’organisation, Pascal ENARD prône l’apparition de « compétences nouvelles » (page 125) partagées et vivantes, tout en laissant « fusionner les grandes structures » (page 123) qui périront d’elles même par l’inefficacité de leur organisation … à moins qu’elles ne s’adaptent, au moins à la marge.

Réalisation de soi et partage avec l’autre voilà donc les deux conditions nécessaires au développement de la vie. Encore faut il qu’une place soit faite à ces possibilités de développement personnel : l’individu étant pris entre le marteau de l’organisation dominante et l’enclume de la critique dominante.

Ce faisant je repense sans cesse aux mémoires de Géronimo qui, narrant sa vie, insiste sur la multiplicité des possibilités de réalisation personnelle et de reconnaissance sociale des jeunes membres des tribus apaches. A une époque où l’humanité et sa jeunesse en particulier souffre du manque de reconnaissance et de possibilités de réalisation, je ne peux m’empêcher de me demander en me retournant sur mon passé : « et toi, qu’as-tu fait de tes plus belles années ? »

Intranquille, voici donc notre lot, à moins d’un sursaut révolutionnaire de libération et de réalisation personnel reconnu par les autres.