SCèNE 6
Courroucée par la réponse à la Pilate de
Pons, Athéna répond favorablement à l’invocation de David et entre en scène
Athéna – Merci, cher Monsieur, de m’avoir invoqué
pour trancher le débat avec le sieur Pécuchet, qui prétend redonner (la
tentative est aussi ancienne que le régime de Vichy même) caution scientifique
à la thèse d’un Vichy sauveteur des « juifs français », au prix du
sacrifice, certes pénible et désagréable, des « juifs étrangers » ‑
thèse qu’avançait et dont se flattait publiquement Laval lui-même. En
privé, le même Laval vouait tous les juifs aux mêmes gémonies, et je renvoie
sur ce point M. Pécuchet aux fonds d’instruction de la Haute Cour de Justice de
Laval (W3, 208-216, Archives nationales), qui l’éclaireront sur le sort que
l’intéressé, aidé de son ami René Bousquet, puis du chef cagoulard Darnand,
promettait aux juifs « en général ».
Le médiateur du quotidien régional, Pons,
vous répondant également, pour invoquer le respect des « règles en vigueur
dans la profession et dans ce quotidien régional » par « l’acte
journalistique » qu’a constitué l’interview de Pécuchet, je crois devoir
intervenir dans le débat.
M. Pécuchet est confronté à une critique
précise, à laquelle il semble vouloir répondre par écrit, initiative rare et
louable, je le concède, de la part d’un universitaire médiatique. Mais il
esquive l’objet de ladite critique – son indulgence pour le comportement du
régime de Vichy à l'égard des juifs de France ‑ en se flattant, de façon plus
générale, d’être « un spécialiste du génociede (sic) et de la shoha
(sic) », observation supposée de nature à tuer l’objection dans l’œuf. Il
en est en effet spécialiste autoproclamé depuis plusieurs années, et désormais
se réclame de l’autorité de Simone, dont les compétences historiques ne me
paraissent pas établies et dont, au surplus, l’indulgence peut être
suspectée : son défunt mari n’a pas vu d’inconvénient à voisiner avec
Bousquet, au passé notoire dans les milieux financiers, juifs pas moins que
non-juifs, au conseil d'administration de la Banque d'Indochine, et on peut
penser que la communauté sociale et la priorité des dividendes ont pesé en
l'occurrence davantage que les bienfaits présumés de Vichy pour sa femme, sa
belle-sœur et sa belle-mère avant leur voyage pour Auschwitz (et je ne
parle pas du reste de sa famille). Simone, grande « Européenne », a
par ailleurs ces dernières années donné caution, au cours de voyages dans les
Pays Baltes, à des milieux politiques également très pro-européens, en faisant
silence sur l’histoire avérée de leurs prédécesseurs d’entre-deux-guerres et
d’Occupation allemande et en particulier sur la contribution active de ces
derniers à la « destruction des juifs d’Europe » étudiée par Raul
Hilberg.
M. Pécuchet préfère également à ce
type d’enquête historique exigeante l’enquête « “au ras des pâquerettes”
[effectuée] en [s]’appuyant sur des dizaines de témoignages » et la glose
sur « les causes […] complexes » (si peu, à la lecture assidue des
sources). Ce type d’enquête ne saurait soustraire aucun historien stricto
sensu travaillant sur les juifs de France à l’impératif catégorique
d’un examen des archives d’État, françaises, allemandes et autres. M. Pécuchet
ne les a jamais consultées, mais il manie volontiers le concept de
« génocide » non scientifiquement défini, comme l’ont fait des
« Ukrainiens » allégués ‑ toujours originaires de l’Ukraine
anciennement polonaise, jamais de l’Ukraine soviétique, de l’entre-deux-guerres
‑ lorsqu’ils ont, notamment contre une communication de sources diplomatiques
de 1932-1935 assurée par moi-même à des étudiants de concours, organisé grand
tapage politico-idéologique, à Washington et à Paris notamment, sur la
« famine génocidaire stalinienne » de l’Ukraine soviétique. Ce tapage
a heureusement pris fin, en France tout au moins, lorsque les
« Ukrainiens » se sont révélés, en mai 2006, pour ce qu’ils
étaient : des héritiers des génocidaires petliouristes, célébrant
l’exécution par un « juif étranger » de France, Sholem Schwartzbard, en mai 1926, de leur héros
Petlioura massacreur de juifs ukrainiens au cours de la guerre civile et
étrangère faisant rage sur le territoire de l’ancien empire russe (geste à
l'origine de la Ligue contre les pogroms, devenue Ligue contre l'antisémitisme ‑
LICA ‑ puis LICRA. Le tapage sur les « génocides » revendiqués, réels
ou non, n’a pas disparu, s’appuyant sur des comparaisons aussi fantaisistes que
« la destruction des juifs d’Europe », entre 1939 et 1945, et les
guerres yougoslaves ‑ à forte origine ou inspiration internationale ‑ des
années 1990.
C’est de cet amalgame de
« génocides » et de « violences », de toutes origines,
toutes arbitrairement mises dans le même sac, en contradiction avec
toute analyse historique à fondement socio-économique, que M. Pécuchet est le
spécialiste. C’est sur ces bases publicitaires relatives aux
« génocides » et « violences » qu’il a acquis son
indéniable notoriété médiatique, laquelle lui vaut ces jours-ci, à l'occasion
de la sortie d’un nouvel ouvrage, les colonnes du journal régional – solide
habitude de la grande presse, parisienne ou non. Une telle reconnaissance est
aisément acquise en France à des universitaires qui ont d’emblée ou
tardivement, et définitivement, renoncé à l’humble travail de l’historien
impliquant longue consultation des très abondantes sources écrites,
contemporaines des faits et non destinées à la publication. On ne voit pas
en quoi « des dizaines de témoignages […] “au ras des pâquerettes” »
pourraient nous éclairer mieux ou aussi bien sur le sort des juifs de France,
français et étrangers, que les sources écrites susmentionnées.
Le triomphe de telles méthodes, non
scientifiques car non confrontées aux sources originales, est très dommageable
à la réputation internationale de notre historiographie – réalité qui inspire
honte et malaise à ceux qui comparent les travaux français des quinze dernières
années sur la Deuxième Guerre mondiale aux richesses de la bibliographie
non-francophone, comparaison à laquelle je viens de procéder dans mon ouvrage, dans
lequel l’aryanisation des « biens juifs » (et son cortège de
pratiques non exclusivement économiques) occupe une part notable. Je ne doute
pas qu’un responsable culturel de votre journal y prête la même attention, par
un « acte journalistique » approprié, qu’à une enquête orale
« au ras des pâquerettes », lancée environ 70 ans après les faits et
se félicitant, quelle chance, que « 75% des Juifs (sic) de France [aie]nt échappé à la mort ». Je
profite de l’occasion pour faire remarquer qu’il n'y a pas de nationalité
juive, et donc que, en français, le substantif juif ne commande pas plus la
majuscule que l’adjectif juif. Bien cordialement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire